La démocratie Corrençoise
Le 5 Avril 1977, François Ripert mettait un point final à un long récit qui devait, pour lui, servir de mémoire aux membres du Cercle de l'Avenir. Car la mémoire du Cercle avait été, détruite le 11 Février 1944 par les soldats de l'armée Allemande d'occupation qui avaient investi le village à la recherche d'informations sur le maquis du Bessillon et pillé le local du Cercle.
Tout d'abord quelques éléments historiques et chronologiques.
François Ripert, qui a été membre et secrétaire du cercle dès 1920, rapporte les propos du "regretté vieillard et très vénérable républicain", le citoyen Pascal Blanc.
Tout commencerait donc en 1851, au mois de Décembre.
A l'annonce du coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte, les républicains varois s'insurgent.
Mais le feu couve déjà depuis le 24 Février 1848, date de la proclamation de la IIème République dont le premier et unique Président, Louis Napoléon Bonaparte, sera élu le 10 Décembre de la même année.
Les républicains, de la "Bonne", c'est à dire les partisans d'une République Démocratique, sociale et laïque constituent des chambrées, c'est à dire des lieux, plus ou moins secrets, où ils se réunissent pour écouter la lecture des journaux de Paris, mais aussi consommer, à moindre coût, "vin chaud ou vin cuit que chacun apporte de chez soi et déguster quelques bonnes fressures de cochon ou de mouton achetées chez le boucher".
Ceux ci sont peu nombreux à Correns. La commune compte alors 1335 habitants recensés, ce qui nous donne environ 700 de sexe masculin et 300 en âge de résister. Ils ne seront qu'une vingtaine, jeunes pour la plupart, à participer à l'insurrection varoise. Correns est, à cette époque, une communauté très légitimiste voire conservatrice. Plusieurs raisons à celà, dont essentiellement une tradition cléricale, car jusqu'en 1789, le "seigneur" de Correns, est l'abbé représentant la communauté des moines de Montmajour, ainsi que la prééminence de la famille Paul, dont les membres "règneront" sur Correns jusqu'en 1904, date de l'election du premier maire républicain, Alphonse Jourdan.
En 1851, Correns est à contre courant du département du Var qui a majoritairement voté pour le Général Cavaignac, représentant le parti des républicains modérés avec, il faut le relever, un score très élevé aussi pour Ledru Rollin représentant les républicains démocrates socialistes. Sur les 89 départements français de l'époque, 4 départements seulement ( Bouches du Rhône, Finistère, Morbihan, et Var) placeront les candidats républicains en tête.
Le "Var Rouge" était né, mais Correns demeurait bien blanc comme l'ensemble du canton de Cotignac d'ailleurs.
Ces républicains corrensois, qui se sont sans doute constitués, en chambrée dès 1848, nous les connaissons pour la plupart.
Armerat Alphonse Coordonnier, Aubert Pierre Cultivateur, Audier Félicien Cultivateur, Audier Léonce Cultivateur, Audier Louis Cultivateur, Bouis Jean Louis Cultivateur, Brenguier Pierre Cultivateur, Castelly André Cultivateur, Castelly Louis Cultivateur, Fabre Joseph Augustin boulanger, Fauchier Jacques Vannier, Foubert Joseph menuisier, Leydier Germain cultivateur, Marion Théodore Tisserand, Reboul Joseph Vannier et fournier, Rouvier César coordonnier, Siméon Louis Célestin cultivateur, Sumian Blaise, Ventre Jean Baptiste cultivateur.
Le juge de paix de Cotignac, demande d'ailleurs, au Maire de Correns, le 1er mai 1849, qu' "un agent de l'autorité assiste aux réunions électorales pour constater les délits qui pourraient avoir lieu". Le 11 Août de la même année, il demande qu'on lui "adresse confidentiellement, quels sont les cercles et chambrées, leur caractère, leur but, leur couleur et les journaux qui s'y lisent.". Il ajoute même "ne signez pas ce travail"! Le 22 Février 1850, c'est le sous préfet de Brignoles, qui demande au Maire de "prendre un arrêté interdisant les promenades ou farandoles, les chants et batteries de caisse dans les rues et places publiques, ayant quelques-unes une signification provocatrice et agressive, tout portant l'inquiétude dans l'esprit des citoyens inoffensifs". Nous sommes à la veille de l'anniversaire de la révolution du 24 Février 1848. Le 22 Avril 1851, c'est une note "confidentielle" du maire de Cotignac qui demande, au Maire de Correns de faire signer par les habitants, une pétition "demandant la révision de la constitution de 1848."
Que faut il réviser? Les deux articles suivants qui interdisent au Président de se représenter et autorise le peuple à résister, par les armes s'il le faut à toute confiscation du pouvoir.
Article 45. - Le président de la République, est élu pour 4 ans et n'est rééligible qu'après un intervalle de 4 années. Ne peuvent non plus être élus après lui, dans le même intervalle, ni le vice président, ni aucun des parents ou alliés du Président jusqu'au 6ème degré inclusivement.
Article 68. - Toute mesure par laquelle le président de la République dissout l'Assemblée Nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison. Par ce seul fait, le président est déchu de ses fonctions; les citoyens sont tenus de lui refuser obéissance.
Le 5 Décembre 1851, le coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte, ( qui a eu lieu le 2 à Paris) est porté à la connaissance des Corrensois, et c'est une centaine d'hommes qui se réunit, vers 6heures du soir, " pour empêcher que l'hôtel de ville et le pays ne fussent envahis par les insurgés des environs".
Le 21 Décembre 1851, Louis Napoléon, fait approuver par plébiscite sa prise de pouvoir. A Correns, "à 10h00 du matin, l'appel des électeurs est terminé. A 4heures du soir les bulletins ont été retirés de la boîte les renfermant. Ils ont été compté et se sont trouvés au nombre de 367. Cette opération a donné le résultat suit: Oui 367, Non Néant."
A Correns comme dans la France entière, le coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte, est légitimé, La répression va pouvoir se mettre en marche.
Car dans cette commune très légitimiste, il s'est néanmoins trouvé 27 hommes pour tenter de rejoindre la colonne des insurgés qui sera brutalement dispersée à Aups le 10 Décembre. Alphonse Armerat et Jacques Fauchier, "chefs de la société secrète" en sont les meneurs. Des peines d'internement, de transportation et d'expulsion seront prononcées à leur encontre mais elles seront commuées en des peines de surveillance.
Dans le même temps, toutes les chambrées existantes sont interdites. A Correns, il devait en exister des légitimes car, dans une lettre non datée, le Maire se plaint de "cette maudite fermeture des chambrées qui mécontente toute la population."
Le 6 Décembre 1856, "sont autorisées à se constituer en cercle sous la dénomination de Cercle de l'Union les personnes désignées dans la demande susvisée" mais le 4 Août de l'année suivante, "considérant que le cercle établi à Correns sous le nom de Cercle de l'Union est surnommé " Chambrée de La Lumière" est devenu un véritable lieu de propagande" celui-ci est dissous.
Cette "Chambrée de La Lumière" qui apparait pour la première fois dans un texte officiel est "la mère" du Cercle de l'Avenir.
En effet, aux dires de François Ripert, qui tenait celà du citoyen Pascal Blanc, ce sont 14 jeunes gens, fils de déportés, qui fondèrent "La Lumière". Parmi eux, Pascal Blanc, Victorin Long, Augustin Ripert, Louis Rouvier, Marius Rambert, Germain Brenguier, Augustin Siméon, Alphonse Reboul, Germain Aubert, Louis Bouis et Louis Paul. Ils se réunissaient "au quartier du pont, à la première maison se trouvant sur la rive gauche de l'Argens, à gauche de la Route n°45 en allant à Barjols, dotée d'une bien agréable terrasse, faisant face au moulin à huile. Cette maison appartenait à l'époque au citoyen Fabre Joseph".
Mais d'autres cercles vont voir le jour à Correns: tous blancs celà va sans dire. Le " Commandant Paul", maire de 1858 à 1904, y veillera.
Le 15 Juin 1857, c'est le Cercle de Notre Dame qui est autorisé ainsi que le Cercle de St Germain. Le 16 octobre 1860, le sous préfet de Brignoles écrit au Maire de Correns: "il existe déjà dans votre commune cinq cercles autorisés. Ce nombre est plus que suffisant pour une population de 1258 Habitants." Malgré celà, le 20 Mai 1863, c'est le Cercle Impérial qui est autorisé.
De son côté, "La Lumière" vit toujours dans la clandestinité.